jeudi 11 août 2011

Récit d'un jour pas comme les autres

Je sais: ça fait plus de trois mois que je cause pas dans le poste... Mais je vole! La preuve...

Frais dispo ce matin très tôt, un vol réservé à Romans avec J.C. (nb : pas confondre avec un certain charismatique de Nazareth). Le temps est fabuleux : du soleil, un petit 14°c à 6h30 du mat (ben oui on est dans le sud quoi !) et pas un pet, vous me suivez, pas un pet de vent… juste une petite brise légère qui n’arrive même pas à décoller la manche du poteau !

Arrivé sur place, grand calme et prévol en silence pour rester concentré sur mes futurs tours de piste dont j’ai d’ailleurs longuement discuté sur le « forum des pilotes privés » hier soir. L’esprit tranquille, j’attends sagement le chef pilote me disant que bientôt, peut-être, dans quelques semaines… le grand jour serait sans doute là : le fameux lâché tant attendu et dont la prose aéronautique se nourrit à l’envie.

D’ailleurs faudrait que je pense à compiler un jour tous ces beaux textes plein d’émotion dans un gros dictionnaire des lâchés… (et promis je parlerai pas de déceptions amoureuses ni de problèmes gastriques!).

Bon revenons au calme de cette matinée qui s’annonce fraiche et douce à la fois. Percevez-vous au dessus de vos têtes les grandes falaises du Vercors se détacher avec aplomb dans le ciel tremblant de ce mois d’Août incertain… ? La prévol est terminée : de l’huile, pas d’eau dans les réservoirs, les moustiques écrasés éliminés d’une savante main : de mon cockpit la place est nette !

Préparation machine et le F.I. arrive tout content de tester une tablette à la pomme et une appli du tonnerre de dieu en cabine. On parle de tout et de rien et forcément on décole pour un tour de piste en vérifiant – ben oui ça marche très bien – que l’IP…. 2 est un bel outil pour qui sait déjà voler !

Deuxième tour de piste : le J.C. ne dit plus trop rien et semble dans ces pensées (j’exagère là : vous pensez bien qu’il scrute attentivement tous mes faits et gestes !). La finale n’est pas trop mauvaise, l’arrondi au bon moment, l’atterrissage plutôt doux… On repart pour un troisième.


Je me sens bien et de bonne humeur.

« Ta visite médicale est à jour ? » commente l’air de rien le J.C.…
« Oui depuis le 29 juillet ».
« Bon on fait un dernier tour et si c’est ok je descends et tu repars seul » ……. « GLUP »……
« Euh bon, mais c’est pas forcé là ? »
« De toute façon c’est jamais l’élève qui décide alors soigne-moi ce tour de piste et on verra dans dix minutes ».


Concentré et finalement assez détendu, j’enchaine les actions de préparation machine, passe mes radios aux p’tits oignons, trime comme j’ai jamais trimé : 1600ft et pas de variations d’altitude. Le rêve… Une base pas trop mal, une finale bien comme il faut qui s’annonce. Et là ! Là ! La boulette… Trop rapide et trop haut, un vario de merde et des tours moteurs dans les choux. Je rectifie le tir (façon de parler) et atterri pas trop mal mais pas assez cabré (donc forcément trois points…) ce qui n’avantage pas la vie du train avant… Grrrr.

« Bon là on remet les gaz et on en refait un quatrième ».
« Ok ».
« Et de toute façon tu feras un complet et je descends au point d’arrêt. »
« Ok J.C. je me sens détendu et je crois que ça va le faire ».



Un dernier tour de piste comme dans un rêve : 900ft pompe-volet rentré ; 1100ft sécu virage 20°… La machine monte bien : 1600ft début de vent arrière, réduction de gaz, passage arc blanc et un cran de volet+pompe… Tout semble acquis et ma radio suit après affichage 2200tours moteur. Une base bien entreprise même si j’ai corrigé mon virage parti un peu tôt lors du dernier tour de piste. La finale est ok et l’atterrissage presque bon…


« Tu freine doucement, tu contrôle ton axe et tu dégages la piste »
« OK ».
Là, à ce moment là y’a des trucs dans les jambes qui commencent à circuler bizarrement. Vous savez le même truc quand vous allez pour la première fois rencontrer votre belle pour un premier baiser ? Puis c’est au tour du palpitant de s’y mettre.

Point d’arrêt piste 06.
« Bon ça va ? »
« Oui je me sens en confiance ».
« Les instruments moteurs sont ok, ton cran de volet, ta pompe, l’autonomie carburant est suffisante… Je descends et tu fermeras toi-même la verrière ! »

……GLUP……. (ça c’est le son du dernier cm3 de salive qui vient de descendre dans le gosier).

« Tu attends que je sois derrière la radio au club et tu fais comme d’habitude… je ne te donnerai aucune consigne en vol : tu gères et tu va voir tout est beaucoup plus facile seul dans la cabine.
Le décollage sera plus court et ta montée plus rapide ».
« OK » .
Et puis après…. Et puis après…. Je fais ma sécurité : rien dans le ciel Romanais. « Fox Juliet Roméo au point d’arrêt piste 06, alignement et décollage »

Alignement. Je vérifie une dernière fois la fermeture de la verrière (y’a des trucs qu’on fait dix fois parce qu’on a entendu des histoires à dormir debout et qui servent à pas grand-chose… Quoique ?). Je pousse les gaz à fond et répète tout haut « badin actif, arcs verts, pas d’alarmes, 100km/h rotation… ».

Je décolle en gardant une assiette pas trop cabré, vérif ma vitesse… Je cherche 145 au badin : le vario grimpe bien. Le reste à l’avenant. Je tourne enfin la tête pour savourer ce moment capital dans la vie d’un pilote : JE VOLE et SEUL.

Des larmes pèsent déjà lourd au bord des paupières… Savez- pas : j’suis un gros sensible. Pensées pour mon père qui de là-haut doit être fier de son fils. En 2009, c’était un gros challenge intellectuel pour moi de me lancer ce pari de VOLER. C’est beaucoup de temps passé à me dire que ça va être dur, des doutes, des découragements. Mais j’y suis bon sang. Tout est beau autour de moi. Même le Mont Blanc en face qui me provoque. JE VOLE. Des frissons, du plaisir : détendu je gère sans erreurs (je crois) mon premier tour de piste au dessus de Romans sur Isère.
Je vire un peu tôt sur ma base et même si je raccourcis un peu la finale je gère correctement mon plan, l’axe et ma vitesse. Atterrissage correct, un peu de frein, tenir l’axe. Je dégage la piste.

Je roule à l’essence et déjà mon J.C. (j’aime bien m’approprier des trucs souvent) rapplique le grand sourire des jours où ça va bien :

« c’était bien non ? ».
Moi sans forcer : « oui je me sens bien là ! »
Envie de lui dire plein de trucs mais les mots manquent : pour un dir'cab c'est pas top!


« Ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait » : un vrai cadeau cette citation de Mark Twain… qui m’entraine depuis longtemps à profiter de la vie…